Conférence à L’ENSSAT avec Thomas Coville
Ce mardi 31 janvier, parenthèse Sciences, Sports et Avenir à L’ENSSAT, avec le skipper Thomas Coville, devant les étudiants de la prestigieuse école d’ingénieurs lannionnaise.
Chez BreizhPress, la voile est une passion. Etant installés dans les locaux de l’ENSSAT, nous n’avons pas hésité à prendre notre matinée pour assister à cette conférence hors-normes.
Thème officiel du jour : le management d’équipe.
D’emblée le cadre est posé : ce ne sera pas une conférence classique. La discussion s’élargit à des questions fondamentales sur le sens de l’humain, de l’effort et de la volonté : devenir ingénieur est un moyen, pas une fin. Un moyen, une chance pour s’accomplir, réaliser ce que chacun de nous porte en soi, d’unique.
Chez Thomas, c’est l’histoire d’une transformation qui se lit dans son rapport à la voile et à la compétition. Un bateau vieux de presque 10 ans, le beau Geronimo de Kersauson, vainqueur en son temps du trophée Jules Vernes, racheté et transformé en 2013, devenu méconnaissable, laboratoire du marin du futur, navire de tous les records. Tandis qu’en chantier, bientôt sur les mers, un bolide aquatique révolutionnaire de la poupe à la proue promet de casser tous les repères.
Car Thomas Coville est bien un « transformer » , dont le bonheur est de faire corps avec un gigantesque exosquelette à voile et à foils, aux capteurs démultipliant ses sens, un rêve kinesthésique et synesthésique devenu réalité jusqu’au bout du bout.
L’équipe c’est d’abord l’entreprise familiale Sodebo, ses fondateurs des charcutiers traiteurs vendéens aussi tenaces que malins, dont le succès est passé par l’innovation et la valorisation du mérite avant tout. Le sponsoring voile est une spécialité vendéenne qui a fait ses preuves : Fleury Michon est déjà passé par là, Sodebo lui emboite le pas en 1998.
Le résultat est là : insignifiant avant cette date, le taux de notoriété spontanée de la marque Sodebo progresse sans cesse depuis lors. Dans sa présentation Thomas ne les oublie pas, il leur doit bien ça: près de 20 années de fidélité pour remporter enfin les plus beaux records. La loyauté et la foi paient toujours, des deux côtés.
Une relation heureuse devenue l’illustration parfaite de la bienveillance selon Thomas Coville, qui la définit par le fait de faire preuve de générosité et de confiance sans rien attendre en retour.
(NDLA : on peut cependant supposer que pour un sponsor la valeur de l’échange soit avant tout fondée sur le donnant-donnant, qui certes n’exclue pas la confiance sur le long terme.)
L’équipe, ce sont ensuite tous les talents réunis autour de Thomas. Chacun est maître à bord dans son domaine, responsable chacun d’un peu de la vie de notre skipper sacrificiel lorsqu’il lance, l’excitomètre et le trouillomètre aux aguets, les 15 tonnes de son multicoque volant à 40 nœuds au dessus des vagues, perché sur ses foils, sans jamais mollir même quand il faut dormir. La pleine confiance prévaut: imaginez un pilote de formule 1 libre de sommeiller au volant de son bolide lancé à pleine allure.
Avec Thomas Coville, il y a un avant et un après: désormais les marins de compétition sont des athlètes de haut niveau. Fini le rhum et les excès de pirates, caricatures de temps révolus pas si lointains. Place aux spécialistes, aux diététiciens, à la préparation mentale, aux coachs. Sans oublier, bientôt, si ce n’est pas dès à présent, la réalité augmentée, l’intelligence artificielle, le deep learning pour pilotes automatiques.
Déjà son bateau se barre tout seul après avoir tout appris de son maître : « ma valeur ajoutée est ailleurs » . Thomas Coville est un marin qui vit pour la vitesse, indicateur ultime de performance. Le moindre geste, la moindre innovation compte: « autrefois les équipages prenaient le temps pour manœuvrer, on ne comptait pas » , « nos bateaux vont désormais plus vite que la météo, c’est un changement radical » .
Un point de vue qui n’est pas si nouveau ni étonnant. On pense à Tabarly, innovateur majeur en son temps, qui avouait s’intéresser bien plus aux performances de ses bateaux qu’à la mer et qui, comme dans la chanson, aimait bien les sardines … avec du citron (en boite et chaudes de préférence, comme l’a conté son ancien équipier Yves Parlier). Rendons honneur à Thomas Coville de s’être un jour opposé à la fâcheuse habitude de balancer les ordures par dessus le bord, et d’en payer les conséquences, humoristiques et tenaces.
Bienveillance et partage de responsabilité, juste équilibre entre l’affectif et l’efficace, le tout au service de la performance… Thomas Coville revient sur la gestion d’équipe et martèle quelques un de ses thèmes favoris tout au long de son intervention. Retenons un propos très pertinent sur l’échec et sa volonté « d’investir dans l’échec » . Seule la persévérance paie. Ce qui n’est pas toujours simple lorsqu’on a autour de soi une équipe dont on est le leader: dans l’échec le sentiment de culpabilité vis à vis des autres n’est jamais loin. Il faut le dépasser. Son échec dans l’édition 2014 de la course du Rhum, après avoir percuté un cargo dans les premières heures de la course, fut l’occasion d’une solide remise en question.
Du côté des métaphores, la direction d’orchestre symphonique en prend pour son grade au profit de la liberté et de l’égalité des interprètes de musique de chambre. Pour l’exemple, Herbert von Karajan est rudement malmené : une équipe ne se dirige pas à la baguette, le perfectionnisme tyrannique est à proscrire.
(NDLA : Beethoven se ferait presque tirer l’oreille s’il n’avait pas aussi composé de la musique de chambre. A méditer, avec pour contrepoint la phrase du non moins célèbre chef d’orchestre Riccardo Muti : « Un orchestre symphonique est la plus belle métaphore de la société que je connaisse. Chacun est indispensable, mais doit savoir s’effacer pour faire vivre une réalité supérieure. » )
Steve Jobs rejoint Herbert Von K au pilori. Sur le plan humain c’est pertinent. Prudent mais fier, Thomas Coville évoque sa présence à l’Elysée la veille, à l’occasion des vœux de « Manu » aux forces vives de la Nation. « On n’est pas obligé d’apprécier ses idées mais … » on aura compris qu’il l’aime bien, subodoré que c’est réciproque.
La sincérité, l’enthousiasme et le naturel de Thomas Coville sont contagieux, les étudiants, encouragés par les questions amorcées par quelques membres de la direction de l’école, se manifestent, les interrogations fusent. On n’a pas la possibilité tous les jours de tutoyer un athlète superstar, ingénieur comme ils le deviendront un jour.
Un grand merci à la direction de l’ENSSAT pour l’organisation d’une telle rencontre.
Un grand merci à Thomas Coville pour cette matinée pas comme les autres.
L’ENSSAT héberge l’espace de coworking WigWam à Lannion, d’où BreizhPress travaille. WigWam est unique en France par sa structure associative et ses tarifs. Sûrement l’espace de co-working le moins cher de France. Un bel exemple de partenariat qui prouve qu’avec un peu de bienveillance et de bonne volonté, il y a moyen de promouvoir l’innovation et l’intelligence collective à peu de frais.